Pourquoi as-tu traversé les Alpes ?
C’est un mélange de plusieurs raisons. Premièrement, l’hiver dernier je me suis retrouvée à vivre dans un village assez isolé au nord de la Norvège et pour m’occuper je me suis “mise au sport” avec un ami. J’ai fait du renforcement musculaire sans but précis, et après quelques semaines, l’idée m’est venu assez naturellement de préparer un projet de randonnée longue distance pour voir si mes efforts allaient payer ! J’ai toujours eu envie de faire ce genre de longues expéditions mais j’ai aussi toujours été persuadée que je n’en étais pas capable car pas en assez bonne forme physique ou mentale (peur d’avoir peur, surtout la nuit, peur d’avoir mal dans l’effort etc…).
Également j’ai un besoin d’être dehors, dans la nature, qui est de plus en plus fort au fil des années, j’ai appris par l’expérience que c’était là que je me sentais le plus à ma place. Alors après une année à travailler à l’intérieur et en groupe, je n’avais qu’un désir, celui de me retrouver seule en extérieur, avec rien d’autre à faire qu’observer le paysage et marcher.
« Je voulais me prouver que je pouvais le faire ! Et peut-être aussi un peu le prouver aux autres… Je voulais accomplir quelque chose de physiquement dur, aussi pour me réconcilier avec mon corps, voir qu’on en était capable lui et moi, connecter le mental et le physique, simplement être en harmonie avec moi-même. »
Quels ont été les moments forts de la traversée ?
Deux moments me viennent immédiatement à l’esprit : L’arrivée au sommet du Brévent et l’arrivée tout court !
Pendant mes six premiers jours de marche, je ne pensais qu’à une seule chose “quand vais-je voir le mont Blanc ?”, et “quand vais-je l’atteindre ?” Alors le 13 août, quand j’ai ouvert ma tente à 5h30 du matin, je débordais de joie et d’énergie pour arriver à son belvédère. C’était une magnifique journée, j’ai vu le soleil se lever et colorer son sommet blanc de nuances orangées, puis la nature m’a offert un troupeau de chamois juste sous le Brévent avant d’atteindre le col. Enfin, l’arrivée au sommet et ce mastodonte qui apparaît, totalement dégagé, sans un nuage. Si j’étais arrivée un jour trop tôt, ou un jour trop tard, je ne l’aurais jamais aussi bien vu. C’était aussi un instant symbolique car la fin d’une première semaine de marche en solitaire, le point le plus haut de la randonnée à ce moment-là (2 525 m) et la première fois que je réalisais l’effort que j’avais fourni “juste” pour en prendre plein les mirettes. Bref, tout ceci s’est conclu, une fois n’est pas coutume, par un torrent de larmes de joie et d’émotion !
L’arrivée à Nice a été d’un autre ordre. Ce moment, je l’ai imaginé cent fois pendant que je marchais. Comment j’allais embrasser ma mère, lâcher sac, bâtons et chaussure et me jeter dans l’eau salée.
« Et finalement ce dernier jour de marche, j’ai poussé mon corps jusque dans ses derniers retranchements pour arriver à la mer. Je n’en pouvais plus de marcher mais j’étais portée par l’exaltation de l’accomplissement. »
Les dernières quarante-cinq minutes à remonter l’avenue Gambetta, avec mon gros sac sur le dos, mon corps brûlée et sale, sous un orage de fin d’été, je ne sais pas pour quoi les gens ont dû me prendre, tant je marchais avec une banane scotché au visage, souriant à tous les vacanciers installé en terrasse avec l’envie de tout leur crier “je viens de marcher 600 bornes avec mes p’tites jambes messieurs dames !” Bref, j’avais mal partout mais rien à faire, j’ai rejoint la promenade des anglais, retrouvé ma maman, jeté mon sac, mes bâtons et mes chaussures et filé à l’eau ! Et j’ai barboté un moment en réalisant ce que je venais de faire…
Une anecdote ?
Au 8ème jour de marche, je me suis sentie pousser des ailes, et alors que je marchais depuis presque 10h, j’ai frappé un mur. Ce moment où on se rend compte qu’on est en train de trop s’en demander… Je voulais atteindre le refuge du Presset à 2500m, au sommet d’un col dont la montée a été un des moments les plus douloureux de la traversée, tant physiquement que mentalement. Beaucoup de vent, de dénivelé, et les batteries à plat… J’étais rincé ! Il a bien fallu avancer même si je commençais à avoir des pensées négatives. Impossible de m’arrêter là car le lieu était inhospitalier au bivouac, c’était dur, très dur.
« Finalement je suis arrivé au refuge du Presset, des larmes d’épuisement plein les yeux, et les gardiens m’ont accueilli de la plus généreuse et aimable manière. Le sens du mot refuge à pris tout son sens pour moi cette nuit là. »
On comprend à quel point on a besoin de repos durant une randonnée aussi longue, pour garder les idées claires. L’épuisement physique et moral peut nous pousser à tout remettre en question, je ne sais pas comment j’aurais fait si je n’avais pas pu me réfugier au chaud et recharger les batteries correctement cette nuit-là. Moralité : qui veut voyager loin ménage sa monture !
Une rencontre ?
Une seule ?! Peut-être celle qui a eu l’effet le plus positif fût celle de Raphaël à la sortie de Val d’Isère, alors que j’hésitais à repartir, après une matinée de marche, pour braver l’Iseran. Ayant bien en tête la journée mentionnée plus haut et le risque de s’infliger plus de 10h de marche par jour, j’hésitais tristement à rester au camping quand Raphaël, que j’avais rencontré la veille réapparut, et, la confiance retrouvée par ses encouragements et l’idée de ne pas marcher seule, nous partîmes atteindre le point le plus haut de la GTA (2 770 m) !
« C’est fou de voir l’énergie que peuvent nous transmettre les autres, et bien qu’étant parti en solo, je me suis réjouis de chaque rencontre que j’ai faite, que ce soit Claire, Julien, Florent, Alain, Clara… »
« Nous sommes les habitants du sentier et on partage la même joie et le même objectif, on se comprend et on se soutient pour ensuite partager le plaisir de l’effort accompli, un grand merci à eux tous ! »
Un coup de cœur ?
En lisant la question il m’est immédiatement venu en tête “couper ma propre meule de beaufort au plan de la Lai ?” Mais plus sérieusement, j’en citerais plusieurs qui me viennent :
« le refuge d’Anterne et leur tarte au myrtilles sauvages, dans un des cadres les plus beaux du GR, le village de Roure dans le Mercantour, ou celui de Bonneval-sur-Arc de l’autre côté de L’Iseran (au-dessus duquel je réfléchis très sérieusement à m’acheter un cabane !). La vallée étroite, pour les amoureux de la vie sauvage, ou le lac Saint-Anne et son bleu turquoise ! »
Quels conseils donnerais tu à quelqu’un qui se lance à son tour ?
Allez-y ! Ne passez pas à côté de toute la beauté que la montagne a à vous offrir ! C’est quelque chose qu’il faut contempler de ses propres yeux. Il faut sentir l’odeur des framboises le long d’un sentier après la pluie, celle des pins en montant jusqu’au prairie des alpages. Il faut voir de ses yeux un couple de bouquetins qui vous jaugent avant de s’enfuir en galopant. Le soleil se lever sur les lacs et se coucher sur les glaciers. Apprécier le goût du café ou de la bière en se réchauffant au soleil. Faire des festins de myrtilles et de mûres, sentir l’herbe sous ses doigts de pied endoloris et être bercé par le clapotis de l’eau sur la toile de sa tente. Être parfaitement connecté à son corps, manger quand on a faim, dormir quand on a sommeil, et marcher, marcher, marcher… Tous ses délices ne sont que sublimés par l’effort fourni pour les atteindre.
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